Charles Frederick Worth - Ball Gown - 1889

CAHIER DU TEXTILE

Charles Frederick Worth: père de la Haute Couture

Visionnaire, pionnier, novateur, les adjectifs ne manquent pas pour décrire l’Anglais Charles Frederick Worth. Reconnu comme étant le père de la Haute Couture, ce créateur du XIXème siècle a posé les fondements de la mode de luxe d’aujourd’hui.

Portrait de Charles Frederick Worth - Emile Friant - 1893
« Portrait de Charles Frederick Worth » par Emile Friant – 1893 – Musée d’Orsay

Charles Frederick Worth est né le 13 octobre 1825 à Bourne, une petite ville en Angleterre. Créatif et entrepreneur, ses idées novatrices ont profondément marqué l’univers de la Mode en définissant des pratiques qui font l’essence des maisons de luxe d’aujourd’hui. Retour sur le parcours d’un créateur précurseur.

1. Début de carrière

Charles Frederick Worth connait une jeunesse marquée par les difficultés financières de sa famille. Originellement destiné à suivre les pas de son père avocat, il est obligé d’aller travailler dès l’âge de 11 ans pour subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille.
Son premier emploi est dans une imprimerie, une activité qu’il n’apprécie guère, car selon le journal Peterborough Express, il n’aime pas trop avoir les doigts souillés d’encre. Moins d’un an plus tard, le jeune garçon décide, sans l’accord de ses parents, de déménager à Londres.
À Piccadilly, il est embauché en tant qu’apprenti chez Swan & Edgar un grand magasin de textiles britannique. Très apprécié, il y restera 7 ans avant d’aller travailler chez Lewis & Allenby, un autre grand magasin de tissus. C’est à cette époque, qu’il nourrit le projet de devenir « designer of fashions ». Il se met à apprendre le français et s’installe à Paris en 1845.

Son arrivée en France est précaire mais il fait rapidement ses débuts chez Gagelin, une entreprise prestigieuse parisienne qui vend des textiles et des châles aux couturières de la cour. Pendant une dizaine d’années, Charles Frederick Worth continue d’aiguiser ses connaissances du textile, de la mode et de l’entreprenariat. Ayant débuté en tant que représentant de commerce, il est attentif aux besoins et aux envies de ses clientes. Petit à petit, il gravit les échelons et commence à créer des robes pour agrémenter les châles, l’accessoire fétiche de l’époque, vendu par l’entreprise. Le succès est tel qu’il obtient la possibilité d’ouvrir un département entièrement consacré à la confection et à la vente de robes au sein de Gagelin. Ses créations sont si remarquables qu’il remporte des prix à la fois à la Grande Exposition de Londres en 1851 et à l’Exposition Universelle de Paris en 1855.

Foisonnant toujours d’idées, Charles Frederick Worth propose alors à son employeur Gagelin de continuer d’innover pour répondre à certaines lacunes qu’il a identifié dans le marché de la mode parisienne. L’entreprise décline son offre. L’Anglais décide alors de créer sa propre maison.

2. La Maison Worth

En 1858, Charles Frederick Worth s’associe avec le suédois Otto Gustaf Bobergh1 et fonde sa propre maison de couture, la Maison Worth et Bobergh située au 7 rue de la Paix à Paris. Sa réputation et les relations de sa femme2 aidant, le succès de la Maison Worth et Bobergh est fulgurant.
Charles Frederick Worth comprend vite que la personnalisation, l’exclusivité et la qualité sont les clés pour vendre à des prix plus élevés. Entrepreneur chevronné, il applique ces points à sa nouvelle conception de la mode avec brio.
La boutique de la Maison Worth s’impose comme un lieu unique, symbole de luxe et d’élégance pour la royauté européenne et les clients fortunés. L’approche innovante de Charles Frederick Worth bouscule les conventions. Alors qu’à l’époque les artisans, en majorité des femmes, se rendaient chez leurs clients pour des consultations, Charles Frederick Worth, fait venir ses clients dans sa boutique. Entre atelier et salon, la Maison Worth offre une expérience nouvelle, un véritable lieu de rencontre de l’élite. Tissus rares et somptueux, ornementation sur-mesure, personnel qualifié et connaisseur, la Maison Worth définit les bases d’une révolution.
Mais Monsieur Worth va plus loin. L’entrepreneur ne se pense pas en tant qu’artisan anonyme, comme c’était d’usage à l’époque. Désormais, il conseille, il impose ses choix et surtout il crée selon ses inspirations. Worth crée la figure du couturier, un artiste, un créateur. Précurseur, il signe ses vêtements en y cousant les premières étiquettes avec son nom. As du marketing, il présente ses créations avec des mannequins vivants devant un public trié sur le volet.

Couturier officiel de l’impératrice Eugénie, il devient rapidement un créateur international habillant aussi bien la haute société américaine que les stars du théâtre comme Sarah Bernard. Très doué pour faire son auto-promotion, il est reconnaissable à la cape, la cravate et le chapeau qu’il arbore. Son nom devient rapidement connu de toutes.

Robe du matin - Maison Worth - 1880
Robe du matin – Maison Worth – 1880

3. Le concept de la Haute Couture

Dans la deuxième moitié du XIXème siècle, Charles Frederik Worth développe les fondements des maisons de couture modernes. En plus des pièces uniques qu’il propose à ses plus prestigieuses clientes, il crée des collections, deux par an, pour s’adapter aux saisons.
Désormais c’est lui, et non la cliente, qui choisit les tissus et les couleurs disponibles pour les pièces qu’il a créé. Il emploie un personnel spécialisé où chacun est alloué à réaliser les éléments spécifiques des pièces qu’il dessine. Brodeuse, spécialiste des manches, couture à la main, la Maison Worth emploie près de 1200 personnes à son apogée.
Avec un sens aigu de l’innovation et de la personnalisation, Charles Frederick Worth esquisse une nouvelle approche du vêtement et de la Mode. Les créations de l’Anglais apparaissent dans les magazines; il crée un système de franchise pour vendre ses patrons et dessins de mode aux grands magasins. Charles Frederick Worth est visionnaire !

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4. Des innovations pour les femmes et la mode

Le XIXème est le siècle de la crinoline. Et plus les années passent, plus celle-ci devient imposante et volumineuse. Conscient qu’il est difficile pour les femmes de se déplacer avec ces énormes masses de tissus sous leurs jupes, le créateur Anglais réduit et modifie la forme de celle-ci pour la rendre plus pratique et permettre une plus grande liberté de mouvement.
À la suggestion de l’impératrice Eugénie, il introduit aussi une jupe raccourcie mieux adaptée à la marche et aux promenades.
Réinventant toujours les formes, il crée aussi la « coupe princesse », une robe droite sans taille définie qui va à l’encontre de toutes les coutumes corsetées de l’époque.
L’empreinte du créateur sur le vêtement du XIXème siècle est indéniable. Mais ses innovations impactent aussi tous les secteurs de la mode. Son goût pour la nouveauté et l’originalité participe à développer la fabrication du velours par exemple. Il relance l’utilisation de la dentelle, de la passementerie et de la broderie. Bref, la créativité et le sens du commerce de Charles Frederick Worth donne un nouveau souffle à la mode.

L’héritage de Charles Frederick Worth sur la mode est inestimable. Ses créations innovantes, son sens des affaires et sa capacité à imposer ses propres idées sur les vêtements de son époque ont marqué une industrie qu’il a contribué à redessiner. Son ingéniosité sans pareil a participé à développer des concepts comme celui du créateur de mode, des collections et des maisons de couture. Le vêtement est désormais une œuvre d’art digne des plus grands musées. La Haute Couture est née.

Notes:
1 – Otto Gustaf Bobergh: leur partenariat prendra fin en 1870.
2 – Charles Frederick Worth épouse Marie Vernet en 1851. Elle porte très vite les créations de son mari, ce qui participe à faire sa renommée.

Livre - House of Worth

Pour aller plus loin
« The Worth of Worth – The Birth of Haute Couture » – en anglais