
collection Automne/Hiver 1960-61 de Christian Dior.
Bibliothèque d’art, Musées d’État de Berlin, Allemagne – CC BY-NC-SA.
La Haute Couture incarne l’excellence et l’innovation textile depuis plus d’un siècle. Bien plus qu’un segment de l’industrie de la mode : c’est un laboratoire d’expérimentations où se croisent techniques artisanales et créativité. De la couture à la main aux coupes architecturales, elle témoigne de l’inventivité d’hommes et de femmes qui façonnent leurs époques.
1. Les origines de la Haute Couture
On trouve les racines de la Haute Couture en France au cours des XVIIème et XVIIIème siècles. À cette époque les tailleurs – et les couturières à leurs services – sont déjà régis par des corporations qui existent depuis le Moyen-Âge. L’activité est réglementée et certains d’entre eux se spécialisent déjà dans la réalisation de pièces pour les plus aisés.
Les coupes, les tissus, les accessoires, toute la mode est régie par les dictats définis par la cour royale. La mode bouge peu et doit se plier aux conventions de l’aristocratie. Les ouvrières-couturières sont des petites mains qui exécutent les envies des plus riches, sans avoir de droit de création.
Il faut attendre le XIXème siècle pour qu’un jeune Anglais bouscule tout cela. Avec ténacité et panache Charles Frederick Worth parvient à imposer ses propres créations à la cour et ouvre le monde de la mode aux innovations, à la personnalisation et à l’originalité.
En 1868, le créateur Anglais fonde la Chambre syndicale de la confection et de la couture pour dames et fillettes. L’objectif de cet organisme est de protéger juridiquement les créations des couturiers contre les copies mais aussi de réglementer les différentes professions qui fabriquent et vendent des vêtements. Le groupe traite des questions de conditions de travail, de production mais participe aussi à promouvoir les industries liées à la mode (comme les fabricants de dentelles, les fournisseurs de tissus…).
Mais plus les différents acteurs de la mode s’attèlent à définir leurs activités avec acuité, plus la Chambre syndicale connaît des conflits internes. Les divergences de visions et d’organisation du marché se font de plus en plus grands. Le groupe change de nom, en devenant d’abord la Chambre syndicale de la couture parisienne, puis en 1911, la Chambre syndicale de la Haute Couture. Les soeurs Callot, Paul Poiret et Jacques Worth (petit-fils de Charles Frederick Worth) font partie des premiers créateurs.
Ce que l’on appelle jusqu’alors la grande couture devient la Haute Couture pour se démarquer définitivement de la confection, c’est-à-dire de la fabrication de vêtements reproductibles. Les couturiers s’emparent du marché du luxe, un marché à forte valeur ajoutée où la créativité est essentielle et la qualité intransigeante.
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2. Les spécificités de l’appellation Haute Couture
Après avoir survécu aux effrois des deux guerres mondiales, la Haute Couture doit reprendre et affirmer sa souveraineté1. L’industrie du luxe est stratégique pour l’économie et la reconstruction mais elle est aussi un acteur clé pour redorer l’image de la France qui a collaboré. Le 23 janvier 1945, l’appellation « Haute Couture » est protégée juridiquement par décret dans l’idée de préserver et protéger le savoir-faire français.
Pour obtenir l’appellation Haute Couture la Chambre syndicale de la Haute Couture a définit des critères stricts:
- Ateliers à Paris : Les maisons doivent avoir au moins un atelier à Paris employant un minimum de quinze personnes à temps plein. Avec un «atelier de flou»1 et un «atelier de tailleur »2.
- Artisanat et savoir-faire : Les vêtements doivent être fabriqués à la main par des artisans hautement qualifiés, utilisant des techniques traditionnelles et des matériaux de la plus haute qualité.
- Exclusivité et sur-mesure : Les pièces doivent être conçues spécifiquement pour chaque client, répondant ainsi au concept de la personnalisation.
- Collections bi-annuelles : Deux fois par an, chaque maison doit présenter au moins vingt-cinq créations originales présentées lors des défilés officiels.
- Parrainage et inscription: Les maisons doivent être inscrites sur le calendrier officiel des collections Couture depuis au moins 4 ans et être parrainées par une autre maison de couture.
Chaque année, les maisons de couture qui répondent à ces critères passent devant la commission de la Chambre syndicale de la Haute Couture pour obtenir le label. Il n’est valable qu’une année et devra être renouvelé par une nouvelle demande.
L’organisme accorde aussi à des «membres invités» et à des «membres correspondants» le droit de défiler lors des semaines consacrées à la Haute Couture.


@ Collection MET Museum

Haute Couture Automne/Hiver 2011-12.
« Haut en polyamide blanc imprimé en 3D en forme de coquillages en spirale ; jupe en cuir de vache blanc bordée de franges en acrylique transparent. »
Photo Rhododendrites
La Haute Couture en 2025
En Janvier 2025, on compte une dizaine de maisons qui bénéficient de l’appellation haute couture :
- Adeline André
- Alexandre Vauthier
- Alexis Mabille
- Chanel
- Christian Dior
- Frank Sorbier
- Giambattista Valli
- Givenchy
- Jean Paul Gaultier
- Julien Fournié
- Maurizio Galante
- Schiaparelli
- Stéphane Rolland
Les «membres invités» sont des maisons qui ne répondent pas à encore à tous les critères mais qui sont reconnus par la fédération. Parmi eux cette année:
- Germanier
- Miss Sohee
Les «membres correspondants» sont des maisons basées à l’étranger qui font preuve d’un savoir-faire exceptionnel et qui peuvent présenter des collections lors des semaines des défilés Couture. Parmi eux :
- Giorgio Armani
Iris Van Herpen - Valentino
- Viktor & Rolf
*Les listes peuvent être incomplètes car la Chambre syndicale n’est pas très claire quant à la ‘catégorisation’ des maisons.
4. Le marché
Le marché de la Haute Couture a été évalué à 12,5 milliards de dollars US en 2023 et devrait continuer à croître pour atteindre 15,2 milliards en 2031.
Mais alors que le marché de la mode, et particulièrement celui du luxe, est en berne depuis 2024, pourquoi les prévisions sont-elles encourageantes pour ce secteur ?
D’après l’étude réalisée par B.O.F & McKinsey3 en début d’année, le contexte actuel est propice aux produits d’exception. Alors que les consommateurs ont de moins en moins confiance en des marques de luxe de plus en chères, standardisées, peu durables et dont la qualité peut parfois décevoir, la Haute Couture tire son épingle du jeu grâce à son excellence.
Selon l’étude toujours, seuls le savoir-faire et l’authenticité permettent de répondre aux aspirations des consommateurs en demande de rareté et de qualité. Et même si la Haute Couture représente un peu de 1% du marché global de la mode, il est important de noter que l’ADN de cette appellation se révèle être un atout majeur qui devrait inspirer le reste du secteur.
À l’ère trouble de l’intelligence artificielle et de la surconsommation, l’originalité, l’artisanat, l’intelligence de la main4, et l’innovation restent des valeurs sûres à préserver et à cultiver.
Née de la détermination d’un jeune Anglais à faire sa place dans la mode et le commerce, la Haute Couture est depuis plus d’un siècle le reflet de l’excellence. Au delà de simples produits de luxe, c’est la véritable célébration d’un savoir-faire et d’une créativité textile basée sur la maitrise artisanale de gestes et de techniques pointues. La Haute Couture est un patrimoine, le reflet d’une mode qui (s’)inspire d’une époque.
Notes:
1. atelier flou: atelier dédié à la réalisation des vêtements souples et fluides avec des tissus légers comme la soie ou l’organza
2. atelier tailleur: atelier spécialisé dans les vêtements plus rigides comme les vestes
3. Rapport « The State of Fashion 2025: Challenges at every turn »
4. intelligence de la main: expression utilisée par la Fédération de la Haute Couture et de la Mode

Exposition ‘Christian Dior: Designer of Dreams’ – 2019 -V&A Museum
Photo modifiée de Charlotte Powell